Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2007 April; 23(4): 391–398.
Published online 2007 April 15. doi: 10.1051/medsci/2007234391.

L’évaluation du rapport risque/ bénéfice des stratégies de vaccination

Thomas Hanslik1,2,3* and Pierre Yves Boëlle3,4

1Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Hôpital Ambroise Paré, Service de médecine interne, Boulogne Billancourt, France
2Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, France
3Inserm, U707, F-75012 Paris, France
4Université Pierre et Marie Curie, UMR S 707, F-75012 Paris, France
Corresponding author.
 

La vaccination est actuellement le moyen d’intervention le plus efficace et le moins onéreux pour contrôler une maladie infectieuse au sein d’une population [ 1]. Après qu’un nouveau vaccin ait été conçu et ait démontré son efficacité, sa stratégie d’utilisation doit être étudiée [ 2]. L’exigence d’information de notre société impose aux acteurs de la santé publique et aux praticiens la transparence et la clarté sur les stratégies vaccinales mises en place [ 3, 4]. Comme pour toute intervention médicale, et encore plus s’agissant d’une action prophylactique menée auprès de personnes bien portantes, il faut pouvoir répondre à des questions individuelles telles que : « Qu’est-ce que je risque en l’absence de vaccination ? », « Quels sont les risques d’effets indésirables associés à ce vaccin ? », ou à des questions que se pose la société, comme : « Quel est le coût de la stratégie vaccinale, pour quelle efficacité par rapport à d’autres interventions médicales ? » [ 5].

L’objet de cet article est d’illustrer les différentes étapes de l’analyse du rapport risque/bénéfice des stratégies vaccinales, fondée sur l’estimation préalable de l’efficacité et des risques attendus, ainsi que sur l’estimation des coûts de cette stratégie (Tableau I). L’exemple de la varicelle sera choisi, sachant qu’en France l’épidémiologie de la varicelle n’a pas été modifiée par l’utilisation du vaccin qui reste à ce jour de diffusion très réduite [ 6]. La varicelle représente ainsi une opportunité d’étude de la démarche d’analyse du rapport bénéfice/risque d’une stratégie vaccinale. Tout au long de l’article, l’analyse du rapport risque/bénéfice sera non seulement considérée à l’échelon individuel, mais aussi à l’échelle sociétale. Cette double perspective, souvent intriquée, est importante dans la réflexion qui accompagne la mise en place d’une stratégie de vaccination.

Déterminer l’efficacité attendue de la stratégie vaccinale

Déterminer l’efficacité attendue de la stratégie vaccinale consiste à quantifier ce que fera le vaccin dans le pays où l’on projette de l’utiliser. Cela suppose donc, préalablement à l’usage du vaccin, de disposer d’une mesure précise de l’efficacité vaccinale d’une part, et d’une description épidémiologique aussi précise que possible de la maladie à prévenir d’autre part [ 7]. L’efficacité de la stratégie vaccinale pourra ainsi s’exprimer en nombres de cas d’hospitalisation ou de décès évités.

Mesurer l’efficacité vaccinale
L’efficacité du vaccin se mesure (par exemple) par la réduction de l’incidence de la maladie infectieuse chez les sujets vaccinés comparativement à des sujets n’ayant pas reçu le vaccin. Cela peut être mesuré par des études cliniques randomisées, en période épidémique, permettant de déterminer la réduction du taux d’attaque de l’infection (la proportion d’individus contractant la maladie) chez les vaccinés par rapport aux non vaccinés. Ce rapport des taux d’attaque des sujets vaccinés et des sujets non vaccinés quantifie la réduction de la susceptibilité à la maladie conférée par la vaccination. Il est important de retenir que certains facteurs modifient l’immunogénicité et l’efficacité du vaccin : âge, voie d’administration, immunodépression.

inline-graphic medsci2007234p391-img1.jpg

La vaccination agit en protégeant de l’infection les individus par un effet direct, mais elle peut aussi avoir un effet indirect. Ainsi, les individus vaccinés, s’ils sont infectés, ne peuvent plus transmettre l’infection à leurs voisins non immunisés. Ces derniers sont ainsi indirectement protégés par la barrière que constitue la population des sujets vaccinés qui les entoure. Cette protection indirecte peut être mise en évidence en comparant le taux d’attaque chez les individus non vaccinés dans deux populations indépendantes ayant une couverture vaccinale différente. Dans la population ayant la meilleure couverture vaccinale, on observe un taux d’attaque chez les non vaccinés inférieur à celui de la population ayant une moins bonne couverture vaccinale. Une réduction du taux d’attaque chez les non vaccinés dans la population ayant la meilleure couverture vaccinale est secondaire à la réduction de la transmission par les sujets vaccinés. En effet, la susceptibilité à l’infection n’est pas modifiée chez les non vaccinés. Enfin, le vaccin permet une protection globale de la population en diminuant la circulation de l’agent infectieux [3]. Ainsi, une couverture vaccinale importante offrira de fait l’immunité à tous les individus, vaccinés ou non, parce que la création de longues chaînes de transmission ne sera plus possible : c’est l’immunité grégaire. Connaissant la transmissibilité de la maladie et l’efficacité du vaccin, il est possible d’estimer la couverture vaccinale minimale critique qui empêchera la circulation du virus à grande échelle dans la population [ 10].

inline-graphic medsci2007234p391-img2.jpg

Disposer de données de surveillance épidémiologique
Les données de surveillance épidémiologique sont nécessaires pour obtenir une mesure précise de la morbidité et de la mortalité de la maladie à prévenir. Ces données et leur modélisation constituent un préalable indispensable à la mise en place d’une campagne de vaccination, permettant d’en définir les objectifs [ 1619]. En effet, un manque de clarté sur les objectifs de santé publique poursuivis peut mener à l’échec d’une campagne de vaccination.

inline-graphic medsci2007234p391-img3.jpg

À un niveau individuel, il est également important de savoir répondre aux questions que se posent médecins et patients quant aux risques liés à la maladie que l’on souhaite prévenir, selon l’âge, l’exposition potentielle, et l’éventuelle immunité vis à vis de la maladie. Des estimations précises permettent de personnaliser l’évaluation du risque infectieux encouru par les sujets, et contribuent à renforcer la confiance et la motivation des médecins et du public pour mener à bien une campagne de vaccination.

inline-graphic medsci2007234p391-img4.jpg

Évaluer les risques de la stratégie vaccinale

Aucun vaccin n’est totalement dénué d’effets indésirables (EI). Le résumé des caractéristiques du produit (RCP) mentionne pour chaque vaccin les EI fréquents recueillis pendant les essais cliniques qui précèdent l’autorisation de mise sur le marché. Par ailleurs, il existe pour tout vaccin un risque d’effets indésirables graves et inattendus (EIGI). Ils ne peuvent être identifiés qu’après la mise sur le marché lorsque plusieurs milliers voire millions de doses ont été administrées. Le mécanisme d’action de la plupart des EIGI reste inconnu et la relation causale avec le vaccin est le plus souvent très difficile à appréhender [ 23]. À côté des effets indésirables auxquels est exposé chaque individu vacciné, il existe à l’échelle de la population d’autres risques, en particulier celui de modifier l’épidémiologie de la maladie en changeant la distribution des âges, avec alors le danger de voir augmenter le nombre de cas survenant chez des sujets plus âgés.

Décrire les effets indésirables attendus du vaccin
Comme pour tous les médicaments, des essais cliniques précèdent l’autorisation de mise sur le marché d’un vaccin. Ils permettent de détecter les intolérances les plus fréquentes, avec la possibilité de les rapporter causalement au vaccin puisque l’on dispose à cette étape d’un groupe de sujets témoins non vaccinés permettant d’effectuer des comparaisons dans des conditions expérimentales. Il s’agit essentiellement de phénomènes réactogènes tels qu’une douleur au site d’injection, ou encore de manifestations bénignes liées à l’infection par une souche vaccinale quand il s’agit d’un vaccin vivant [ 24].

inline-graphic medsci2007234p391-img5.jpg

Des effets indésirables plus rares qui n’ont pas été observées avant la commercialisation seront également aisément rapportés causalement à une vaccination : par exemple un choc anaphylactique survenant dans les minutes qui suivent l’injection du vaccin, ou une BCGite.

inline-graphic medsci2007234p391-img6.jpg

Savoir détecter les effets indésirables graves et inattendus
Les EIGI sont habituellement détectés par la surveillance passive, à partir des notifications spontanées reçues par les structures publiques ou privées de pharmacovigilance le plus souvent organisées au niveau international. Elle permet de détecter un signal dans le cas où un nombre « important » d’EIGI est rapporté. En France, la notification se fait auprès des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) et des services de pharmacovigilance des fabricants de vaccin qui transmettent ensuite l’ensemble de leurs cas au service national de pharmacovigilance. Dans certains pays, cette surveillance passive repose sur un système de surveillance spécifique pour les vaccins. Aux États-Unis par exemple, le VAERS (vaccine adverse event reporting system) a été mis en place [ 29, 30], une fois adopté le NCVIA (national childhood vaccine injury act) qui libère les médecins de la crainte de poursuites judiciaires en cas d’aléa thérapeutique succédant à une vaccination [ 31].

L’imperfection méthodologique de la surveillance passive relayée par des systèmes de notification spontanée ne doit pas occulter leur immense intérêt pour la détection des EIGI. Ces systèmes sont en effet en première ligne pour détecter rapidement un problème de sécurité vaccinale. Leur principale qualité est la sensibilité (même s’il est impossible de la quantifier correctement) et non la spécificité. Il convient de considérer les publications de cas isolés comme faisant partie des notifications spontanées (ces notifications sont seulement un peu plus souvent documentées que les cas rapportés aux services de pharmacovigilance).

inline-graphic medsci2007234p391-img7.jpg

Rechercher une association entre vaccination et effet indésirable grave et inattendu
La vaccination est un acte relativement fréquent dans la vie de chacun, et aisé à mémoriser pour que tout événement de santé survenant peu de temps après lui soit possiblement attribué. Si certains de ces EIGI peuvent être causés par le vaccin, d’autres sont fortuits. Un des exemples les plus démonstratifs de ces EIGI est celui de l’association suspectée entre atteintes neurologiques démyélinisantes et vaccination contre l’hépatite B [ 36]. Il était hautement probable qu’en France, où entre 1994 et 2000, approximativement 25 millions de personnes ont reçu le vaccin contre l’hépatite B, des décès et des maladies ou poussées de maladies préexistantes, surviennent peu de temps après l’exposition en dehors de tout lien causal avec la vaccination. Comment distinguer l’EIGI causé par le vaccin de l’événement sans lien autre que chronologique avec la vaccination ? La question de l’imputation est sans doute la plus difficile à traiter en épidémiologie clinique [ 37]. Les notifications spontanées et les publications de cas isolés ou de séries de cas servent de signal indiquant un risque potentiel, mais ne permettent pas de valider une association entre une vaccination et un EIGI. Cette validation repose essentiellement sur les études épidémiologiques. Les études épidémiologiques permettent d’estimer le risque de la vaccination en mesurant l’association entre l’administration du vaccin et la maladie identifiée comme un EIGI. L’association est mesurée par le calcul d’un risque relatif. Il y a toutefois une asymétrie entre l’acceptation d’une association et son rejet. Il est en effet plus aisé d’établir de façon certaine une association que de l’écarter formellement. Dans le premier cas, après une étude épidémiologique et/ou un essai clinique, on décide que la conclusion d’une association vaccin-EIGI n’est due au hasard que dans moins de 5 % des cas. La démonstration de l’absence de risque vaccinal, bien que cruciale, va à l’encontre des méthodes statistiques et épidémiologiques déployées. En effet, l’absence de détection d’une association significative ne démontre pas l’absence de risque. Dans ce contexte d’informations le plus souvent incomplètes, c’est alors la satisfaction de plusieurs arguments en faveur de la causalité qui permet d’appréhender la nature de la relation causale. Plusieurs arguments de causalité ont été identifiés en épidémiologie, pour la plupart inspirés directement des critères de Hill et de Kramer [3739]. Ces critères ont été spécifiquement adaptés pour l’analyse des effets indésirables des vaccins [ 4042]. Leur description va au-delà de l’objectif de cet article.
Estimer l’impact d’une couverture vaccinale insuffisante
Il existe un seuil critique de couverture vaccinale qui permet de faire disparaître la possibilité d’une transmission épidémique. Si la couverture vaccinale effective lui reste inférieure, un réservoir d’individus non vaccinés susceptibles à l’infection va se constituer, devenant avec le temps suffisant pour être le siège d’une épidémie lorsqu’un cas infectieux est introduit. L’augmentation de la couverture vaccinale cause également une augmentation de l’âge lors de l’infection, consécutive à la raréfaction des contacts infectants au cours de la vie, augmentation observée dans le cas de la rougeole en France où la couverture vaccinale serait de l’ordre de 85 à 90 % à 2 ans, inférieure au seuil critique [ 43]. La prise en compte de cet « effet indésirable » dans la décision de stratégie vaccinale est nécessaire lorsque les conséquences de la maladie s’aggravent avec l’âge, comme c’est par exemple le cas avec la varicelle [ 21].

inline-graphic medsci2007234p391-img8.jpg

Évaluer le rapport risque/bénéfice d’une stratégie vaccinale

Le risque potentiel d’effet indésirable excède-t-il le bénéfice de la vaccination ? Une fois évaluées la morbidité et la mortalité de la maladie que l’on cherche à prévenir, l’efficacité du vaccin, et les risques d’effets indésirables du vaccin, l’étape suivante consiste à déterminer le rapport risque/bénéfice de la stratégie vaccinale. Si la démarche d’évaluation du rapport risque/bénéfice au niveau collectif repose sur des données chiffrées, il en va tout autrement de l’estimation du rapport risque/bénéfice individuel qui est en grande partie subjective, et fait intervenir de nombreux paramètres qualitatifs, incluant la perception des risques de la vaccination qu’ont le patient et le médecin.

Rapport risque/bénéfice collectif
Au niveau collectif, le bénéfice se conçoit en terme de nombre de cas évités, d’hospitalisations évitées et de décès évités de la maladie contre laquelle on immunise la population. Le risque s’exprime en nombre de cas supplémentaires d’une maladie reconnue comme EIGI de la vaccination. L’analyse bénéfice/risque consiste ensuite à évaluer si, arithmétiquement, le bénéfice épidémiologique de la vaccination se compare favorablement au risque d’EIGI [ 44].

inline-graphic medsci2007234p391-img9.jpg

Rapport risque/bénéfice à l’échelon individuel
Pour un individu, la vaccination exige la prise d’un risque immédiat (lié aux EI de la vaccination elle-même) pour éviter un risque hypothétique et différé (la maladie infectieuse). Les bénéfices de la vaccination liés aux complications évitées de l’infection se situent donc dans un horizon pouvant aller jusqu’à plusieurs décennies, alors que les risques de la vaccination, s’ils existent, sont immédiats. De plus, l’efficacité des vaccins est inégale entre les individus, puisqu’elle s’exprime finalement en tout ou rien (effectivement protégé ou non) quel que soit le mode d’action du vaccin. Par ailleurs, pour les personnes appartenant à des populations particulières, il n’est pas aisé de prédire l’efficacité individuelle d’un vaccin à partir des données issues des études antérieures à l’autorisation de mise sur le marché. Par exemple, quand on vaccine un patient ayant une connectivite, les taux sériques d’anticorps (en valeur du pic et en durée) ou les sous-classes d’immunoglobulines ne seront pas les mêmes que chez des sujets sains, et dans ces conditions l’efficacité qu’aurait le vaccin en période épidémique ne peut être prédite avec certitude [ 4650].

L’appréciation du rapport risque/bénéfice va donc dépendre pour beaucoup de la perception des risques [ 51], et il est utile d’en évoquer les déterminants. Certains risques paraissent plus acceptables que d’autres, à probabilité de survenue identique, en fonction de leurs caractéristiques [ 52, 53]. Les déterminants classiques de la perception du risque sont indiqués dans le Tableau II. On voit que sur ces neuf caractéristiques, le risque vaccinal en regroupe huit qui orientent la perception du risque du côté le plus défavorable. L’expérience personnelle compte pour beaucoup dans la détermination du risque [52, 53]. Les personnes ayant vécu un EIGI, ou connaissant une personne ayant eu un EIGI, percevront le risque de la vaccination comme plus important qu’il n’est, au contraire des personnes ayant été atteintes d’une maladie contre laquelle on propose la vaccination. Toutes les maladies contre lesquelles une vaccination universelle est pratiquée sont devenues rares, voire ont pratiquement disparu. Elles ne représentent plus un danger aisément perceptible, tant par la population que par les médecins les plus jeunes. Une enquête du Comité français d’éducation pour la santé (CFES) menée auprès des parents d’enfants à vacciner a montré que la crainte des complications liées à la vaccination arrive en tête des raisons motivant les refus de vaccination. En revanche, ces mêmes parents ignorent la gravité des complications auxquelles ils exposent les enfants. Les risques auxquels on s’expose volontairement sont mieux perçus : il est plus facile d’accepter un EIGI d’un vaccin du voyageur (le risque est contrôlable et volontaire) que celui d’un vaccin obligatoire ou indiqué compte tenu du risque professionnel (risque incontrôlable et imposé). Pour deux niveaux de risques égaux, la majorité des personnes préférera celui auquel l’exposition est passive (attraper une maladie en omettant la vaccination) à celui résultant d’une action (avoir un EI après s’être fait vacciner). Une meilleure compréhension des déterminants de la décision de vaccination pourrait aider à améliorer la couverture vaccinale et éviter l’amplification de rumeurs de risques non démontrés.

Estimer le coût de la stratégie vaccinale

L’évaluation médico-économique fait partie des éléments décisionnels conduisant à l’adoption de nouveaux vaccins dans le calendrier vaccinal au même titre que le contexte épidémiologique, l’organisation du dispositif de soins et la vaccino-vigilance [ 54]. Elle s’insère dans la réflexion risque/bénéfice de la stratégie vaccinale en positionnant cette dernière par rapport aux autres interventions pour la santé. L’évaluation médico-économique éclaire les choix de santé publique et aide à la rationalisation des interventions car les ressources que la société décide d’allouer aux dépenses de santé ne sont pas illimitées en pratique. Cette nécessaire quantification n’est pas synonyme de restriction comptable des moyens de soins.

inline-graphic medsci2007234p391-img10.jpg

Conclusions

La décision de mise en place d’une stratégie de vaccination repose d’abord sur la détermination de son rapport risques/bénéfices, dont nous venons d’illustrer la démarche d’évaluation. On pourrait a priori s’attendre à ce que cette démarche, qui se veut rationnelle, laisse peu de place à la subjectivité ou à l’interprétation des données. L’expérience montre toutefois qu’il n’en va pas toujours ainsi. Il suffit pour s’en convaincre de comparer d’un pays à l’autre les recommandations vaccinales, parfois très différentes alors que l’épidémiologie de la maladie à prévenir est similaire. Si l’on reprend une dernière fois l’exemple de la varicelle, on constate que les américains ont depuis plus de 10 ans recommandé la mise en place d’une vaccination systématique contre la varicelle. Pourtant, les incertitudes sur la durée de protection, ou encore celles sur le risque de déplacement des classes d’âges, sont les mêmes qu’en France, où la décision a été au contraire de ne pas recommander la vaccination systématique. S’agissant de vaccination, l’impact du contexte socio-culturel sur l’appréciation du rapport risque/bénéfice n’est pas chose nouvelle. Déjà en son temps, Voltaire relevait les attitudes opposées de part et d’autre de la Manche, face à la variolisation (voir Encadré).

inline-graphic medsci2007234p391-img11.jpg

L’évaluation du rapport risque/bénéfice d’une stratégie vaccinale n’est jamais établie une fois pour toute. Elle doit toujours être ajustée en fonction de l’évolution des paramètres épidémiologiques, médico-économiques, mais aussi de l’évolution des données d’efficacité et de pharmacovigilance. Pour cela, l’information doit être mise à jour très régulièrement, ce qui souligne la nécessité de disposer d’un système de surveillance opérationnel et fiable pour accompagner, en temps réel, la mise en place des stratégies de vaccination. Par ailleurs, depuis 2005, un plan de gestion de risque (PGR) accompagne les demandes d’autorisation de mise sur le marché des vaccins (et de toute nouvelle substance active). Il associe un plan national de pharmacovigilance et un plan de minimisation du risque, allant au-delà de la seule détection de signaux et d’alertes de pharmacovigilance après la mise sur le marché. Le PGR doit proposer toutes les actions qui permettront d’une part de mieux connaître le profil de sécurité d’emploi du vaccin, et d’autre part d’évaluer le rapport bénéfice/risque dans les conditions réelles d’utilisation.

Enfin, dans le contexte d’incertitude qui, comme on l’a vu, accompagne souvent l’évaluation du rapport risque/bénéfice, il est important que les médecins communiquent de la façon la plus objective et factuelle possible [23]. Nous pouvons surtout éviter le piège des discours engagés et combattants, qu’ils soient pro- ou anti-vaccination. Ils ne peuvent que desservir les objectifs de santé publique en amplifiant l’inquiétude du public ou en participant à la perte de crédibilité du milieu scientifique quand les propos ne peuvent être étayés par des estimations précises.

 
Footnotes

Article reçu le 23 décembre 2006, accepté le 11 février 2007.

References
1.
Teng TO, Adams ME, Pliskin JS, et al. Five-hundred life-saving interventions and their cost-effectiveness. Risk Analysis 1995; 15 : 369–90.
2.
Chen RT, Orenstein WA. Epidemiologic methods in immunization programs. Epidemiol Rev 1996; 18 : 99–117.
3.
Nokes DJ, Anderson RM. Vaccine safety versus vaccine efficacy in mass immunisation programs. Lancet 1991; 338 : 1309–12.
4.
Jefferson T, Demicheli V, Pratt M. Evidence-based vaccinology: the work of the Cochrane vaccine field. J Epidemiol Community Health 1998; 52 : 207–8.
5.
Dittmann S. Vaccine safety: risk communication: a global perspective. Vaccine 2001; 19 : 2446–56.
6.
André F. Vaccination contre la varicelle. In : Vaccinations, actualités et perspectives. Expertise collective de l’Inserm. Paris : Éditions Inserm, 1999.
7.
Anderson RM, Donnelly CA, Gupta S. Vaccine design, evaluation, and community-based use for antigenically variable infectious agents. Lancet 1997; 350 : 1466–70.
8.
ACIP, CDC. Prevention of varicella: recommendations of the advisory committee on immunization practices (ACIP). Centers for Disease Control and Prevention. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 1996; 45 (RR-11) : 1–36.
9.
Vázquez M, LaRussa PS, Gershon AA, et al. Effectiveness over time of varicella vaccine. JAMA 2004; 291 : 851–5.
10.
Boelle PY. Épidémiologie théorique et vaccination. Rev Med Interne 2007 (sous presse).
11.
Halloran ME. Epidemiologic effects of varicella vaccination. Infect Dis Clin North Am 1996; 10 : 631–55.
12.
Bonmarin I, Levy-Bruhl D. La rougeole en France : impact épidémiologique d’une couverture vaccinale sub-optimale. Eurosurveillance 2002; 7 : 55–60.
13.
Seward JF, Watson BM, Peterson CL, et al. Varicella disease after introduction of varicella vaccine in the United States, 1995-2000. JAMA 2002; 287 : 606–11.
14.
Zhou F, Harpaz R, Jumaan AO, et al. Impact of varicella vaccination on health care utilization. JAMA 2005; 294 : 797–802.
15.
Nguyen HQ, Jumaan AO, Seward JF. Decline in mortality due to varicella after implementation of varicella vaccination in the United States. N Engl J Med 2005; 352 : 450–8.
16.
Anderson RM, Donnelly CA, Gupta S. Vaccine design, evaluation, and community-based use for antigenically variable infectious agents. Lancet 1997; 350 : 1466–70.
17.
Levine MM, Levine OS. Influence of disease burden, public perception, and other factors on new vaccine development, implementation, and continued use. Lancet 1997; 350 : 1386–92.
18.
Zimmerman RK, Schlesselman JJ, Mieczkowski TA, et al. Physician concern about vaccine adverse effects and potential litigation. Arch Pediatr Adolesc Med 1998; 152 : 12–9.
19.
Comité Technique des Vaccinations, Direction Générale de la santé. Guide des vaccinations. Paris : Comité français d’éducation pour la santé (CFES), 2006.
20.
Bonmarin I, Ndiaye B, Seringe E, Levy-Brühl D. Épidémiologie de la varicelle en France. BEH 2005; 2005 : 30–2.
21.
Boëlle PY, Hanslik T. Varicella in non-immune persons: incidence, hospitalization and mortality rates. Epidemiol Infect 2002; 129 : 599–606.
22.
Hanslik T, Boëlle PY, Schwarzinger M, et al. Varicella in French adolescents and adults: individual risk assessment and cost-effectiveness of routine vaccination. Vaccine 2003; 21 : 3614–22.
23.
Chen RT, DeStefano F. Vaccine adverse events: causal or coincidental ? Lancet 1998; 351 : 611–2.
24.
Loupi E, Baudard S, Debois H, Pignato F. Les risques associés aux vaccinations. Ann Med Interne 1998; 149 : 361–71.
25.
Gershon AA, M. Takahashi, Seward J. Vaccines, 4th ed. In : Plotkin SA, Orenstein WA, eds. Philadelphia : Saunders, 2004 : 783–824.
26.
Hambleton S, Gershon AA. Preventing varicella-zoster disease. Clin Microbiol Rev 2005; 18 : 70–80.
27.
Tsolia M, Gershon AA, Steinberg SP, Gelb L. Live attenuated varicella vaccine: evidence that the virus is attenuated and the importance of skin lesions in transmission of varicella-zoster virus. J Pediatr 1990; 116 : 184–9.
28.
Jumaan AO, Yu O, Jackson LA, et al. Incidence of herpes zoster, before and after varicella-vaccination-associated decreases in the incidence of varicella, 1992-2002. J Infect Dis 2005; 191 : 2002–7.
29.
Ellenberg SS, Chen RT. The complicated task of monitoring vaccine safety. Public Health Reports 1997; 112 : 10–20.
30.
Singleton JA, Lloyd JC, Mootrey GT, et al. VAERS Working Group. An overview of the vaccine adverse event rporting system (VAERS) as a surveillance system. Vaccine 1999; 17 : 2908–17.
31.
Braun MM, Ellenberg SS. Descriptive epidemiology of advserse events after immunization: reports of the vaccine adverse event reporting system, 1991-1994. J Pediatr 1997; 131 : 529–35.
32.
Sharrar RG, LaRussa P, Galea SA, et al. The postmarketing safety profile of varicella vaccine. Vaccine 2000; 19 : 916–23.
33.
Gershon AA. Varicella vaccine: rare serious problems-but the benefits still outweigh the risks. J Infect Dis 2003; 188 : 945–7.
34.
Wise RP, Salive ME, Braun MM, et al. Postlicensure safety surveillance for varicella vaccine. JAMA 2000; 284 : 1271–9.
35.
Levin MJ, Dahl KM, Weinberg A, et al. Development of resistance to aciclovir during chronic infection with the Oka vaccine strain of varicella-zoster virus, in an immunosuppressed child. J Infect Dis 2003; 188 : 954–9.
36.
Hanslik T, Blanchon T, Alvarez Fabián P. Vaccination des adultes contre la varicelle et le zona. Rev Med Interne 2007 (sous presse).
37.
Valleron AJ. Mise en évidence des faits et recherche des causes en épidémiologie environnementale : enjeux méthodologiques. CR Acad Sci Paris SerIII 2000; 323 : 617–28.
38.
Hill AB. The environment and disease: association or causation ? Proc R Soc Med 1965; 58 : 295–300.
39.
Kramer MS. Difficulties in assessing the advserse effects of drugs. Br J Clin Pharmacol 1981; 11 (suppl 1) : S105–10.
40.
Institute of Medicine. Causality and evidence. In : Stratton KR, Howe CJ, Johnston RB, eds. Adverse events associated with childhood vaccine, evidence bearing on causality. Washington DC : National Academy Press, 1994 : 19–33.
41.
World Health Organization. Causality assessement of adverse events following immunization. Wkly Epidemiol Rec 2001; 76 : 85–92.
42.
Collet JP, MacDonald N, Cashman N, Pless R, Advisory committee in causality assessment. Monitoring signals for vaccine safety: the assessment of individual adverse event report by an expert advisory committee. Bull World Health Org 2000; 78 : 178–85.
43.
Chauvin P, Valleron AJ. Persistence of susceptibility to measles in France despite routine immunization: a cohort analysis. Am J Publ Health 1999, 89 : 79–81.
44.
Levy-Bruhl D, Desenclos JC, Rebiere I, Drucker J. Central demyelinating disorders and hepatitis B vaccination: a risk-benefit approach for pre-adolescent vaccination in France. Vaccine 2002; 20 : 2065–71.
45.
Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France. Calendrier vaccinal 2006. BEH 2006; n° 2 : 211–6.
46.
Devey ME, Bleasdale K, Isenberg DA. Antibody affinity and IgG subclass of responses to tetanus toxoid in patients with rheumatoid arthritis and systemic lupus erythematosus. Clin Exp Immunol 1987; 68 : 562–9.
47.
Mitchell DM, Fitzharris P, Knight RA, et al. Kinetics of specific anti-influenza antibody production by cultured lymphocytes from patients with systemic lupus erythematosus following influenza immunization. Clin Exp Immunol 1982; 49 : 290–6.
48.
Turner-Stokes L, Cambridge G, Corcoran T, et al. In vitro response to inluenza immunisation by peripheral blood mononuclear cells from patients with systemic lupus erythematosus and other autoimmune diseases. Ann Rheum Dis 1988; 47 : 532–5.
49.
McDonald E, Jarret MP, Schiffman G, Grayzel AI. Persistence of pneumococcal antibodies after immunization in patients with systemic lupus erythematosus. J Rheumatol 1984; 11 : 306–8.
50.
Ioannou Y, Isenberg DA. Immunisation of patients with systemic lupus erythematosus: the current state of play. Lupus 1999; 8 : 497–501.
51.
Hanslik T, Wechsler B, Vaillant JN, et al. A survey of physicians’ vaccine risk perception and immunization practices for subjects with immunological diseases. Vaccine 2000; 19 : 908–15.
52.
Chen RT. Vaccine risks: real, perceived and unknown. Vaccine 1999; 17 : S41–6.
53.
Slovic P. Perception of risk. Science 1987; 236 : 280–5.
54.
Analyse économique. In : Vaccinations, actualités et perspectives. Expertise collective de l’Inserm. Paris : Éditions Inserm, 1999 : 103–23.
55.
Teng TO, Adams ME, Pliskin JS, et al. Five-hundred life-saving interventions and their cost-effectiveness. Risk Analysis 1995; 15 : 369–90.
56.
Mark DB, Hlatky MA, Califf RM, et al. Cost-effectiveness of thrombotic therapy with tissue plasminogen activator as compared with streptokinase in acute myocardial infarction. N Engl J Med 1995; 332 : 1418–24.
57.
Lieu TA, Cochi SL, Black SB, et al. Cost-effectiveness of a routine varicella vaccination program for US children. JAMA 1994; 271 : 375–81.